Et puis lundi matin
Un lundi matin presque comme les autres.
Un lundi matin en province, où Ghislaine ouvre seule sa petite boutique de casse-croûtes, où ses mains tremblent en préparant les sandwichs; où elle ne peut empêcher ses yeux de guetter l’horloge, attendant l'arrivée de sa petite vendeuse à 10h, sachant pertinemment qu'elle ne viendra pas; où les derniers mots qu'elle avait adressé à Alicia vendredi après-midi résonnent tristement à ses oreilles: "Bon week-end à la capitale! Et n'oublie pas d'enlever ton maquillage de mort-vivant avant de venir travailler lundi!" s'était-elle moquée gentiment, en référence aux goûts musicaux "bizarres" de sa jeune collègue.
Un lundi matin au bureau, où Thomas va boire son café et fumer sa clope seul, sans Bernard. Si seulement il les avait rejoint vendredi soir, lui et son fils, dans le 11ème, comme son collègue le lui avait proposé, si seulement?
Un lundi matin dans le service de chirurgie orthopédique de Nadia, où les transmissions entre équipes sont longues. Un service plein comme un oeuf, des blessures par balles, des blessures de guerre. Les infirmières, les aide-soignantes, les médecins, les internes, prennent leur service comme tous les lundis. Sans avoir quitté l’hôpital du week-end. Sans que Nadia ait pu rejoindre ses parents dans les Ardennes comme elle l'espérait.
Un lundi matin au lycée, où les chaises des copains Paul, Simon, et Mehdi restent vides dans la salle de classe, marquant leur absence, temporaire, ou définitive. Certains savent déja, Paul leur avait suffisament rebattu les oreilles avec son "premier concert entre potes, sans chaperon, t'imagines mec?!".
Un lundi matin dans le métro parisien, anormalement silencieux, où certains manquent à l'appel, sans que les autres le sachent.
Un lundi matin en réanimation, où peut-être un blessé se réveillera de l'anesthésie nécessaire à la lourde intervention chirurgicale subie dans la nuit de vendredi à samedi. Un lundi matin, où celui-là, celle-ci, déclinera enfin son identité. Un lundi matin où le téléphone sonnera quelque part pour annoncer une bonne nouvelle. Il, elle, a survécu.
Comme un lundi matin.
Illustration: Monique Mazarguil (merci 1000 fois!)