Un 5 juillet 1991
Ce matin, j'ai entendu à la radio, comme chaque année, le petit reportage habituel inhérent aux résultats du bac attendus ce 5 juillet; or, ce reportage se déroulait exactement dans le lycée où j'ai passé mon bac, celui où je suis allée voir mes propres résultats.
Alors je ne sais pas si c'était un 4, un 5, ou un 6 juillet, mais une chose est sûre, il y a 25 ans (car j'avais au moins 5 ans d'avance...), alors que la plupart de ces nouveaux bacheliers n’étaient pas même l'ombre d'une ébauche d'un brouillon de bébé, j'étais à leur place. J'étais devant les grilles du lycée Saint Just de Lyon, à scruter les résultats.
J'avais pris le métro, puis le bus, c'est que le trajet était long pour venir de chez moi jusqu'à ce lycée perché sur la colline de Fourvière; c'était l'après-midi je crois, je n'avais pas voulu y aller tout de suite. Fuir la foule, fuir les témoins et les cris de joie, des fois que... la fuite, un mode de vie. J'avais peur de l'avoir raté, ce bac. Je savais que ça n’avait pas très bien marché en "sciences naturelles" (je sais, ça ne se dit plus!), en physique et en maths, et pour un bac dit scientifique c'était plutôt gênant. Les langues vivantes ne pouvaient guère me faire espérer quoi que ce soit. Seuls les points gagnés au bac de français l'année précédente, l'histoire géo, et la philo, me laissaient entrevoir l'espoir de ne pas être obligée de passer le rattrapage.
Je ne me souviens pas exactement de mon nom sur le tableau. Je me revois juste après, soulagée. Que dis-je? Libérée (oui, délivrée aussi, déjà)! J'étais admise, sans mention bien sûr, ras les pâquerettes mais admise, ça suffisait. Les études que j’envisageais ne demandaient rien d'autre que le bac, pas besoin de super dossier gonflé de bonnes notes toute l'année, comme mes camarades qui postulaient pour les prépas d'écoles d'ingénieurs (ça représente quoi, au fait le boulot d'un ingénieur, pour un gamin de 18 ans??).
Je me revois sortir du lycée et me précipiter dans une cabine téléphonique. (J'ai bien écrit: cabine téléphonique, so 1991...) J'ai appelé dans l’ordre ma mère, qui était déjà allée voir les résultats, puis mon père, qui attendait mon appel. J'ai ensuite repris le bus, sur un petit nuage. Là, le nez collé à la vitre, je me sentais tellement légère, que je souriais toute seule. J'avais beau lutter, j'avais un peu honte au fond de sourire toute seule comme une débile, rien à faire, ce sourire intérieur, m'étirait les lèvres et me faisait sans doute briller les yeux irrémédiablement. J'avais envie de crier à tout le monde dans le bus que j'avais mon bac, un peu comme quand on est amoureux et qu'on a envie de le dire à tout le monde, surtout à des inconnus.
Ce soir-là, je n'ai pas fait la fête avec mes amis. Je n'avais pas beaucoup d'amis, et je ne faisais pas partie du style de lycéens à faire la fête (attention, sortez vos mouchoirs, je vais bientôt vous parler de mon enfance, tapie dans une bouche d'aération). Surtout l'une de mes amies était au rattrapage, elle.
Ce matin en écoutant la radio, j'ai entendu les cris de joie des lycéens reçus au bac. Il y avait sûrement aussi quelques larmes mais ceux-là, on ne les a pas entendus.
Dans les propos de ceux qui étaient reçus, j'ai reconnu, comme si c'était hier, le soulagement et la légèreté.
Une légèreté universelle.
Une légèreté ô combien éphémère aussi, mais de celle, pourtant, dont on se souvient toute une vie.