Le préféré du plus beau du plus meilleur
Jeudi dernier, tandis que je soufflais d'ennui devant "Danse avec avec les stars-en-mal-de-célébrité" (eu égard aux 12000 coupures publicitaires, mais pas que) m'est venue une certaine lassitude, dont je vous livre l'objet ici.
Ne vivrions nous pas dans une société qui prône la perfection et la performance? (voyez un peu, j'ai frôlé l'entorse du cerveau!)
A la télé, les émissions de "concours" ont envahi les petits écrans. Il ne s'agit plus d'être un bon pâtissier mais d'être le meilleur, on ne se contente plus du label "plus beau village de France", non, il faut être le préféré. Meilleur couturier amateur (Cousu main), meilleur boulanger de France, meilleure nouvelle découverte de la chanson française (The Voice, Nouvelle Star), meilleur aventurier (Koh Lanta et compagnie)... Sur les réseaux sociaux, et sur Instagram en particulier, les "stars" sont les comptes qui totalisent le plus grand nombre possible d'abonnés, les images sont toujours plus belles, les vies toujours plus parfaites.
Si on y réfléchit bien, ce phénomène de société est loin d'être nouveau.
Lorsque j'étais gamine, la société des années 80-90 mettait déjà en valeur les élites. La beauté tout d'abord, c'était alors la grande mode des mannequins-stars: Cindy Crawford, Claudia Schiffer, Naomi Campbell, on portait aux nues ces filles aux proportions parfaites. 90-60-90, voilà quelles étaient les mensurations (impossibles!) à atteindre.
Côte études, c'était la grande époque des math sup-math/math-spé. Au lycée, dans ma classe, tout le monde voulait être ingénieur, sans même savoir en quoi consistait ce boulot. Mais c'était comme ça: la voie royale comme on disait, consistait à intégrer une prépa, puis une école d'ingénieurs. Il s'agissait alors d'être le plus intelligent (scolairement parlant, j'entends).
Aujourd'hui on pourrait donc se réjouir qu'il ne s'agisse plus seulement d'être beau ou intelligent. Les métiers manuels ont été mis à l'honneur, et c'est certainement une bonne chose pour toutes ces nobles professions, qu'elles suscitent de véritables vocations, et qu'elles soient ainsi valorisées: boulanger, cuisinier, pâtissier... Oui, mais ça ne suffit plus. Car pour "s'épanouir" (sous-entendu: gagner de l'argent, et/ou acquérir la célébrité), la société des médias nous recommande d'être, encore et toujours, le/la meilleur/e.
Jusqu'où irons-nous dans cette compétition effrénée?
Va-t-on assister à la naissance de nouveaux programmes: meilleur médecin, meilleur prof, meilleur plombier, meilleur facteur..., avec toutes les dérives que cela pourrait entrainer en termes de recherche de rentabilité? (Ah, mais on me dit en régie que ça existe déjà: chaque année, nous avons droit au classement des meilleurs établissements hospitaliers, celui des meilleurs lycées, le tout reposant sur des arguments de performance plus que discutables...)
Je me demande quelles répercussions ce culte de la performance peut avoir auprès des jeunes générations, en matière de confiance en soi. Que penser de soi en effet, si l'on ne possède aucune passion particulière comme la couture, la danse, ou la chanson? Est-on quand même digne d'intérêt si l'on n'est pas le meilleur en quoique ce soit, quand bien même on excellerait dans plein de domaines? Et que dire de ceux qui n'excellent en rien, ou qui cherchent encore leur voie? La société actuelle nous propose de sortir de l'anonymat grâce à notre talent. Plus besoin d'être beau, ou intelligent, du moment que l'on possède un don. Oui, mais si l'on a aucun talent particulier? Même pas un incroyable talent, qui nous permettrait au moins d'avoir notre minute de gloire dans l'émission du même nom, avec notre numéro de danse des narines version macarena?
J'ai justement entendu plusieurs fois mes filles se plaindre qu'elles n'avaient aucun talent particulier. Comme en réalité la majeure partie de la population.
Alors je m'inquiète de cette recherche de perfection à tout prix, et des conséquences destructrices qu'elle pourrait avoir sur tous ceux qui manquent d'estime de soi.
Je me demande comment s'en prémunir:
- s'agit-il de ne pas cautionner en boycottant systématiquement ces émissions?
- l'éducation des enfants, le discours bienveillant leur rappelant que chaque être est un être unique, est-il suffisant?
Et surtout, que deviendra ce grain de sable éducatif face à la pression des pairs et de la société?
Finalement, quand accepterons-nous, en tant qu'individu, de rester parmi la foule des anonymes? Quand cesserons-nous de croire cette société qui nous fait miroiter un destin exceptionnel à coup de télé-réalité? Moi-même, est-ce que je ne me surprends pas parfois à rêver que mon blog va un jour être suivi par des milliers de lecteurs?
Accepter d'être unique, sans être forcément exceptionnel.
Vaste programme.