Va, vis, et deviens.
Ca s'est passé l'autre mercredi. J'accompagnais Miss Choco à son cours de théâtre, comme tous les mercredis, lorsque celle-ci me demanda explicitement de la "déposer". En précisant que je ne l'accompagne pas jusqu'à la porte, et que je ne vienne pas vérifier si elle était bien arrivée. Quelques semaines plus tôt, en effet, ne trouvant pas de place sur le parking, je lui avais proposé de descendre de la voiture et d'aller seule à son cours, pendant que je cherchais une place. Ne l'ayant pas vue entrer, j'étais allée vérifier ensuite sa présence au cours (lui collant probablement la honte sur 4 générations).
Revenons à ce fameux mercredi. Face à sa demande soudaine d'autonomie je suis restée aussi abasourdie que la fois où, dans un épisode de la petite maison dans la prairie, la voix qui doublait Laura Ingalls avait changé.
Il faut préciser que depuis leur naissance, mes deux filles n'ont jamais eu une demande forte d'indépendance. A 7 et 9 ans, elles me demandent encore de choisir leurs vêtements le matin, de les coiffer, voire certains soirs, de les doucher (en mode fatiguée/feignasse). La semaine précédente, j'avais d'ailleurs été agacée lorsque, à la piscine, miss Choco avait tenu à ce que je l'accompagne jusqu'au bord du bassin, alors que nous étions déjà en retard pour le cours. Je suis également souvent irritée quand je lui demande de poser une question à la maitresse, et que, par timidité, elle refuse systématiquement, m'obligeant à lui écrire un mot dans le cahier de liaison.
Mais mercredi, Miss Choco a gagné une petite victoire d'émancipation. Probablement poussée par le modèle de ses camarades de théâtre, un peu plus âgées qu'elle, qui arrivent unanimement seules au cours (je suis d'ailleurs souvent la seule à attendre la fin du cours à l'intérieur de la structure, et non dans ma voiture sur le parking).
Pourtant, il va bien falloir s'habituer à ces petits pas qui conduisent peu à peu sur le chemin de la liberté. Il y aura le collège l'an prochain, et encore plein d'autres pas à effectuer.
Je mesure aussi ce que chaque pas signifie, et comme il nous rapproche, à chaque fois, de celui qui nous verra un jour atteint du syndrome du nid vide. Je n'oublie pas que cela fait partie du contrat, vous savez la petite case, tout en bas, qu'il fallait cocher lorsque nous avons déballé nos nouveaux-nés, celle qui précisait: "attention, ce produit est de très bonne qualité mais pour sa bonne conservation, vous veillerez à faciliter son épanouissement en ne lui demandant rien en retour, en le poussant à voler de ses propres ailes, en ne mettant aucun obstacle entre lui et ses aspirations, que ce soit sous forme de culpabilisation ou de chantage affectif; cet alinéa est non négociable, et en aucun cas le produit ne vous serait remboursé s'il ne satisfaisait pas à vos exigences personnelles".
Parfois, je prends conscience de l'absurdité de ce pari un peu fou que nous avons fait: construire un foyer, au sens littéral, tout en sachant qu'il sera éphémère, du moins dans sa forme actuelle. Donner tout ce que notre être est capable d'amour, sans en attendre de la gratitude ou de la réciprocité (la possibilité de ces dernières étant la cerise sur le gâteau!). La quintessence de l'amour parental donc, cette folie. Alors, quand ça m'étreint un peu trop le coeur, je me souviens de mes propres petites étincelles de liberté gagnées les unes après les autres: la première fois que je suis allée à l'école toute seule, la première fois que j'ai payé le pain. La première fois que j'ai dépensé l'argent que j'avais économisé pour m'acheter un truc vraiment chouette. Mon premier livret A. Mon premier soutien-gorge (oui, aussi!). Et plus tard, toutes les acquisitions de la majorité: le droit de vote, le permis de conduire, la première fiche de paie, le premier appart. Je me souviens de ma fierté à chaque fois, de ma sensation d'en être, d'avoir un rôle à jouer. De mon fou-rire nerveux mémorable, lorsque je me suis retrouvée pour la toute première fois, seule à conduire la voiture de mon père (l'indépendance prend parfois de drôles de visages!). Chacun son tour.
Va, vis et deviens.
PS: j'ai emprunté cette formule au magnifique film de Radu Mihaileanu, sorti en 2005, racontant l'histoire d'un enfant éthiopien, qui, en 1984, alors que la famine dévaste son pays, se fait passer, poussé par sa mère, pour un juif éthiopien afin d'être emmené en Israël où il pourra échapper à la mort. Cette mère sait parfaitement qu'elle ne reverra jamais son fils, mais pour lui sauver la vie elle préfère en être séparée. Bouleversant! Si vous ne l'avez pas vu, je vous le recommande chaudement (voir bande-annonce ci-dessous).