La petite fille au maillot rose
Il y a cette petite fille, au cours de natation, depuis la rentrée.
Cette petite fille qui semble vivre le plus grand drame de sa vie à chaque nouvelle leçon.
La première semaine, je l'ai remarquée à cause de sa dégaine: maillot rose, bonnet rose enfoncé jusqu'aux lobes des oreilles, chaussettes antidérapantes roses, et le corps, tout fluet, perdu au milieu de tous ces attributs. Et puis dans la piscine, ses cris.
La deuxième semaine, la revoilà, la fillette en détresse. Avant son cours (qui suit celui de mes filles), je l'observe.
Trève de bonnet (rose), cette fois on a gardé que les chaussettes (roses) et le maillot (rose). Le maillot est trop grand, il baille sur le haut des jambes. Les bretelles sont toute tire-bouchonnées. Le visage est fier, le nez pointe vers le haut, tout comme la queue de cheval, bien tirée en haut du crâne. Sur le front, mille petits cheveux rebelles se sont échappés. Les joues sont remplies comme des fruits mûrs, les yeux bruns très grands, expriment toute la candeur des... quoi, 4 ans? 5 ans? Sa main est entièrement empoignée par la main de l'adulte qui l'accompagne. Pour l'instant, la petite fille est calme, aucune inquiétude ne semble l'assaillir, comme si elle avait déjà oublié la semaine passée.
Mon coeur à moi bat un peu fort. J'appréhende le moment où elle va reprendre contact avec l'eau.
Quelques minutes plus tard, au moment de se séparer de sa grand-mère, c'est de nouveau le drame. Des douches où mes filles se rincent, j'entends les cris déchirants, les hoquets. Je ne peux m'empêcher de jeter un oeil. Je vois le prof de natation essayer de raisonner la petite fille, gardant son calme, puis le perdant. Les cris sont de plus en plus forts... Je retourne à l'entrée de la piscine. De là, je peux observer derrière les vitres toute la scène, sans le son. Finalement, la petite fille est restée assise au bord de la piscine. Désormais je ne vois plus que l'image, sa bouche grande ouverte, les épaules secouées par les sanglots. Je m'attends à ce qu'elle se calme seule. Mais non, ça continue encore et encore. Une détresse absolue, folle, déraisonnée, disproportionnée peut-être.
Et je me demande pourquoi sa détresse, celle de cette petite fille inconnue, me retourne autant le ventre.
A quoi cette détresse fait-elle donc écho chez moi?
Est-ce la détresse de mes propres filles qui me remonte à la gorge, ce sentiment absolument ingérable que j'ai ressenti devant leur chagrin lorsque j'ai du les laisser à la crèche, à l'école, ou à l'éveil musical quand on me priait de les reprendre au plus vite tellement elles perturbaient le cours avec leurs larmes?
Est-ce une vieille réminiscence de ce que j'ai pu ressentir moi-même, enfant, pour je ne sais quelle raison?
Ou bien alors... est-ce qu'en devenant mère, je suis devenue, d'une certaine façon la maman de tous les enfants en détresse?